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Sur les prières de demande

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Père Cyrille, osb.

Le Barroux - Sermon pour le treizième dimanche après la Pentecôte (2020)

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« Lève-toi, va, ta foi t’a sauvé ! », dit Jésus au lépreux revenu en arrière pour rendre gloire à Dieu.

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Il pourrait sembler que demander à Jésus sa guérison de l’atroce maladie de la lèpre exige plus de foi que revenir le remercier une fois guéri… Et pourtant, l’Évangile le dit clairement, dix ont eu assez de foi pour la première prière mais c’est au seul Samaritain revenu « rendre gloire à Dieu » que Jésus a dit : « Lève-toi, va, ta foi t’a sauvé ! »

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Seul le « gloire à Dieu » du Samaritain mérite de s’entendre dire : « Ta foi t’a sauvé ! » Pourquoi ?

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Je vous propose de consacrer ce sermon à cette question. Et d’en chercher la réponse dans le Notre Père.

Il me faut pour cela vous montrer que le Notre Père nous fixe la doctrine de Jésus sur la prière (premier point)

Puis chercher avec vous dans le Notre Père les conditions de la prière capable de sauver (second point), ce qui est la question posée par l’évangile : pourquoi seule la prière de gloire à Dieu du lépreux reconnaissant, lui mérite d’entendre que sa foi l’a sauvé.

 

1. Le Notre Père est l’école de prière de Jésus.

 

Quand les apôtres ont vu Jésus prier, ils ont intensément désiré savoir prier comme Lui et ils Lui ont demandé : « Maître, apprends-nous à prier ! »

Jésus n’a pas répondu par un discours sur la prière mais par une formule de prière, une formule qui commence par ces mots admirables, s’adressant à Dieu, « Notre Père ! », puis les sept demandes que l’on trouve chez saint Matthieu. Or, comme le remarque saint Thomas d’Aquin (après beaucoup d’autres), ces sept demandes nous font demander « les meilleures choses dans le meilleur ordre voulu » : des choses que les fidèles d’aujourd’hui pensent d’ailleurs bien rarement à demander - que chacun s’interroge !

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« Les meilleures choses dans le meilleur ordre voulu » : trois pour Dieu, quatre pour nous.

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Pour Dieu, nous demandons à Notre Père du ciel :

  • que son nom soit sanctifié ;

  • que son règne arrive ;

  • que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

 

Ces trois admirables demandes, avons-nous vraiment le désir qu’elles se réalisent ? Est-ce là, comme il se doit, la motivation profonde de notre vie ?

Comme on peut facilement passer à côté de l’essentiel ! Gustave Thibon disait que le drame de notre civilisation était d’avoir placé sa fin dans le perfectionnement des moyens.

Quel est le but de la vie de l’homme ? « L’homme est sur terre pour louer, honorer et servir Dieu et ce faisant sauver son âme ! » Tout le reste est moyen et la marque d’un moyen, c’est qu’il ne doit être voulu que dans la mesure où il sert vraiment la fin : « autant que, pas plus que ».

Les trois premières demandes du Pater sont-elles l’âme de notre âme ? « Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! »

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Donnent-elles leur sens pour nous aux quatre suivantes ?

Nous demandons pour nous dans ces quatre dernières demandes :

  • le pain du jour (celui du corps et celui de l’âme) ;

  • le pardon de nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ;

  • de ne pas consentir à la tentation ;

  • la délivrance du mal.

 

Quatre demandes qui correspondent si rarement à ce que nous demandons dans nos prières !

Voici donc le Notre Père, dans son indépassable grandeur : un titre, celui de Père, dans sa douceur merveilleuse, puis sept demandes, mais dans un ordre bien précis…Voilà pour le Notre Père. Mais que pouvons-nous en tirer pour notre évangile ?

 

2. Notre évangile à la lumière du Notre Père (second point)

 

Quand les dix lépreux élèvent la voix vers Jésus, de loin, c’est pour être délivrés de leur mal : et c’est bien légitime… Cela ressort de la septième demande du Notre Père.

Mais quand l’unique lépreux samaritain vient « rendre gloire à Dieu », sa prière glorifie Dieu, elle sanctifie son nom. Elle ressort de la première demande du Notre Père. Elle répond à la recherche du Père « Le Père cherche des adorateurs en esprit et en vérité », dit Jésus.

Là se trouve notre raison d’être ici-bas : louer, honorer et servir Dieu !

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Mes chers frères, je vais vous dire une chose énorme mais je la crois vraie. Sans les trois premières demandes du Notre Père, nos prières de demande peuvent nous devenir toxiques, assez toxiques même pour nous faire perdre la foi.

A quoi se résument, en effet, la plupart des intentions de prière ? A demander pour nous ou pour d’autres, d’être délivrés de la maladie ou des épreuves de la vie.

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Jésus a exaucé certaines de ces demandes pendant sa vie : elles sont donc bonnes, mais attention ! Elles doivent être remises à leur place qui est la septième du Notre Père et même, si j’ose dire la septième bis, car le mal dont nous demandons à être délivrés dans le Notre Père, c’est avant tout celui auquel nous entraîne le « Malin », le mal moral.

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Écoutez cette histoire vraie : Une grand-mère avait la garde fréquente de son petit fils et l’emmenait tous les jours mettre un cierge à l’église pour son papa atteint du cancer, pour que Jésus le guérisse. Le papa mourut. L’enfant revint chez la bonne mamie. « Allons prier à l’église, mon petit ! » « Non, répond le gamin, ça ne marche pas ! »

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La prière, présentée comme un moyen d’obtenir quelque chose de Dieu, la prière de demande sans transcendance, risque fort d’apparaître inefficace. Et alors, on jette le bébé avec l’eau du bain !

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Apprenons la prière du lépreux : une prière décentrée de notre petit moi, une prière, qui commence par Lui : « Notre Père ! », comme cette pauvre gardienne de vaches à qui la mère de Ponsonnas voulut un jour apprendre à prier : « Sais-tu prier ? – Oh non ! chaque fois que je suis dans mes montagnes et que je commence « Notre Père ! », je pense que celui qui a créé ces montagnes est mon père et je me mets à pleurer sans pouvoir continuer… »

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Les moines devraient être tournés vers Dieu par leurs incessants Gloire au Père, mais on peut vivre complètement à côté de ses chaussures même dans un monastère et découvrir sur son lit de mort que cela fait plusieurs dizaines d’années que l’on ne dit plus un seul Gloria Patri en pensant à ce qu’on dit.

 

Je récapitule

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L’unique école de prière de Jésus est le Notre Père. Dans le Notre Père, Jésus nous apprend à donner la priorité à la transcendance : à orienter notre vie vers son vrai but que l’on a si vite fait d’oublier : nous sommes sur terre pour louer, honorer et servir Dieu : « Que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite ».

La prière du lépreux reconnaissant épouse cette transcendance beaucoup mieux que la demande de guérison des dix lépreux et c’est pourquoi elle est seule à obtenir la promesse du salut.

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Peut-être est-ce pour nous une invitation à ne pas trop facilement dire à autrui : « Je vais prier pour vous, pour votre santé, etc. ! » D’abord, le dire sans le faire est un abus de confiance détestable mais en plus, laisser entendre à une personne que Dieu va faire quelque chose pour lui dans le domaine où il souffre est dangereux. On n’en sait rien.

J’ai rencontré, il y a dix ans, le médecin italien qui dirigeait le Bureau de Contrôle Médical à Lourdes. Il estimait les guérisons inexplicables (donc d’ordre miraculeux) à 40 par an à Lourdes. Moins d’un malade sur 10 000 se relève donc guéri. Et pourtant qui ne sait combien d’âmes en reviennent consolées.

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