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Les 10 ans du rappel à Dieu d'Anne-Gabrielle, le 23 juillet 2020, ont été marqués par la célébration de plusieurs messes d'action de grâce.

Nous vous proposons l'homélie de deux d'entre elles.

L'une célébrée pour la famille par l'abbé Renoul, de la Fraternité Saint-Thomas Becket.

L'autre célébrée à Pontkallec par l'abbé Arnauld, parent d'Anne-Gabrielle, qui l'a beaucoup accompagnée pendant sa maladie.

Une vie donnée à Dieu

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Anne-Gabrielle naît le 29 janvier 2002 à Toulon, premier enfant d’Alexandre et Marie-Dauphine Caron, catholiques pratiquants, imprégnés de l’idéal scout et qui ont décidé de fonder un foyer chrétien. Alexandre est officier de Marine, sous-marinier, et il part régulièrement pour des missions de plusieurs mois de mer ; Marie-Dauphine est professeur de Lettres Classiques.

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Brune aux cheveux bouclés, aux yeux noirs et au sourire radieux, Anne-Gabrielle grandit et révèle un caractère calme ; elle est assez timide et très intérieure. Sous ses dehors réservés, elle cache une âme entière, passionnée, généreuse. C’est une enfant affectueuse qui a besoin d’être aimée et qui s’inquiète facilement pour ceux qu’elle aime.

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Le 9 juin 2004, la naissance de son petit frère François-Xavier provoque chez Anne-Gabrielle une crise de jalousie qui révèle un aspect autoritaire et exclusif de son tempérament.

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Dès ses deux ans et demi, elle manifeste une grande attention à la souffrance des autres. C’est ainsi qu’elle se précipite vers le Crucifix de l’église en disant : « Jésus. Il a mal. Je vais le consoler ». Déjà, elle offre des sacrifices « pour enlever des épines de la couronne de Jésus ».

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Elle entre à l’école en petite section en septembre 2004. Elle s’y plaît et s’y montre intéressée… et un peu espiègle. Elle veille sur les autres et s’en sent responsable. C’est ainsi qu’en 2005, elle sauve François-Xavier de la noyade en alertant l’adulte présent qui n’a pas vu qu’il se noyait en silence.

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A quatre ans, en janvier 2006, elle révèle une maturité surprenante et demande régulièrement à ses parents « Est-ce que je vais bientôt mourir ? » Et elle explique : « C’est que j’ai tellement envie de voir le Bon Dieu ». Blanche naît le 15 mai 2006. Quelques semaines plus tard, la famille s’envole pour un an en Guyane. Anne-Gabrielle ne s’y fait pas d’amis de son âge et puise dans sa solitude une attention aux autres et un sens de la souffrance d’autrui qui ne la quitteront jamais.

De retour en métropole, en septembre 2007, elle entre en CP. Elle qui est timide s’attache à aller vers les nouveaux pour leur proposer d’être leur amie. Quand elle voit un enfant seul, dans la cour ou lors de goûters d’anniversaire, elle essaie de le faire entrer dans le groupe. Si elle n’y parvient pas, elle va jouer avec lui.

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A l’été 2008, Anne-Gabrielle se plaint de douleurs dans la jambe droite.
Ses parents les attribuent aux marches qu’ils effectuent dans les Alpes. Mais la douleur s’aggrave. Anne-Gabrielle boite de plus en plus et se réveille toutes les nuits. Le 24 février 2009, une biopsie osseuse révèle un sarcome d’Ewing, un cancer osseux très virulent. Anne-Gabrielle est prise en charge à l’hôpital de la Timone, à Marseille. La maladie ayant déjà produit de nombreuses métastases, Anne-Gabrielle ne guérira pas. Elle vient d’avoir 7 ans. Le traitement très lourd ne visera qu’une rémission, elle-même incertaine. Elle demande régulièrement pourquoi Dieu l’a choisie, elle, pour cette épreuve. L’abbé Dubrule l’aide à comprendre qu’elle n’aura pas de réponse à cette interrogation. Mais qu’elle peut
donner du sens à ses souffrances en les offrant pour diverses intentions, en union avec celles du Sauveur. Ce qu’elle intègre et fait très vite ; et c’est là, certainement, son chemin propre de sainteté.

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Le 3 mars 2009, Anne-Gabrielle commence sa première cure de chimiothérapie. Elle affronte seule ce début de traitement car sa mère est partie accoucher : à midi naît sa deuxième sœur, Alix.

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Les effets de la chimiothérapie sont très douloureux : aphtes dans la bouche, qui rendent la prise de médicaments très difficile, fissure, nausées, vomissements, …. Les dispositions spirituelles qu’elle manifestait enfant s’affirment et Anne-Gabrielle puise dans le Christ souffrant toute sa force. Elle manifeste aussi un grand amour pour la Sainte Vierge, récitant quotidiennement le « Souvenez-vous » et ponctuant sa journée de « Je vous salue Marie ».

Elle ne se plaint que rarement, disant : « J’ai mon Papa et ma Maman : je suis heureuse. Je n’ai besoin de rien ». Les séparations continuelles des hospitalisations lui coûtent : « Vous savez Maman, ce n’est pas drôle du tout. A chaque fois que je pars à l’hôpital,

c’est ou avec vous ou avec Papa. Je ne peux jamais profiter de vous deux ensemble ;

j’ai l’impression d’être une enfant de divorcés ». 14 mars.

Anne-Gabrielle perd ses cheveux, ce dont elle souffre beaucoup, les enfants de son âge étant parfois cruels avec elle. Lors de sa récidive, sa seule question sera « est-ce que je vais encore perdre mes cheveux ? »

Le 30 avril 2009, l’IRM révèle une rémission. Mais les médecins rappellent aux parents que, d’ici cinq ans, leur fille aura succombé, ce qui ravive chez eux une angoisse qu’ils taisent mais qu’Anne-Gabrielle ressent : « J’ai peur. J’ai très peur. Mais je ne sais pas de quoi ».

Anne-Gabrielle est confirmée le 20 mai 2009. Le 7 juin, elle fait sa première communion, après de nombreuses péripéties. C’est un moment intense qui marque ceux qui y assistent. Plusieurs années plus tard, une amie dira à sa mère : « Tu étais derrière, tu ne pouvais pas voir son visage. Nous qui la voyions avancer vers l’autel, nous avons été très impressionnés par son regard. On avait l’impression qu’elle marchait vers le Ciel. » L’abbé Dubrule témoignera aussi : « Je n’ai jamais vu personne communier comme elle l’a fait. Pour mon cœur de prêtre, cela reste un moment très émouvant ».

En juillet 2009, la rémission a permis d’alléger le traitement chimiothérapique. Anne-Gabrielle, libérée de la douleur et de nombreux effets secondaires, retrouve une vie quasi normale avec sa joie de vivre et sa gaité. Elle se replie aussi un peu sur elle-même et se montre moins encline à se sacrifier, même si elle reste très agréable et facile à vivre. Elle fait souvent remarquer à ses frère et sœurs la gravité de la maladie dont elle pense avoir guéri : « Tu sais, j’ai eu une maladie très grave dont j’aurais pu mourir. » Intriguée, sa mère finit par lui demander pourquoi elle le leur dit si souvent.

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Elle répond alors : « Mais c’est parce que j’ai longtemps cru que j’allais mourir. » Et comme sa mère lui demande l’effet que cela lui fait de se dire qu’elle ne va finalement pas mourir, elle répond en enfant de 7 ans : « Je suis contente car je me dis qu’au Ciel je n’aurais pas eu ma maison de Playmobil. »

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Fin août 2009 commencent des séances quotidiennes de radiothérapie, pour six semaines. Avant son départ pour Marseille, elle a eu ses multiples piqûres et prélèvements sanguins. Le réveil sonne donc à 5 heures du matin. Elle ne s’en plaint jamais et fait seule en taxi le trajet pour Marseille. Parfois, elle rentre avec des bonbons donnés par les manipulateurs ; elle les garde pour ses frère et sœurs. Puis elle rejoint l’école…

En décembre 2009, apprenant l’échec de son père à un concours, sa première réaction concerne la peine de son père, alors en mer : « Je pense à son chagrin. Et dire qu’il va apprendre tout cela loin de nous ! » Elle orchestre une soirée de bricolage avec ses frère et sœurs, préparant petits cadeaux, dessins, bonbons, découpages. Son père rentre le lendemain. Anne-Gabrielle l’enserre longuement, sans un mot et lui donne un dessin et une lettre dans laquelle elle a écrit : « On sait que ce n’est pas drôle mais il faut penser que c’était mieux pour vous… Et puis le mieux, c’est qu’on soit tous heureux et on a fait ces cadeaux pour vous donner du courage. »

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Le 7 janvier 2010, la maladie est revenue. Le traitement nécessite de retourner plus souvent à la Timone. Anne-Gabrielle, choquée, supplie immédiatement qu’on ne révèle à personne sa récidive : « Je ne veux surtout pas qu’on le sache. (…) Je ne veux pas que l’on dise que je suis malade. S’il vous plaît, ne le dîtes à personne. (…) La famille oui, mais c’est tout. Personne d’autre. (Son ton se fait suppliant) S’il vous plaît. ». Puis, après un long moment de silence lourd d’angoisse et de douleur, elle lève enfin la tête : « Maman, il y a deux choses qui m’ennuient. (…) La première, c’est que j’ai peur de mourir et la seconde, c’est que j‘ai peur que vous vous fatiguiez à force d’aller si souvent à l’hôpital. »

Au moment de se coucher, Anne-Gabrielle, qui recommence à éprouver de fortes douleurs, s’inquiète : « Maman, est-ce que je vais mourir ? » Sa mère tente de la rassurer et elle conclut : « Je sais que tout ira bien car je sais que le Bon Dieu fera que tout aille bien. » Dans les jours qui suivent, elle interroge à plusieurs reprises : « Maman, pourquoi le Bon Dieu m’a guérie si c’était pour me rendre à nouveau malade ensuite ? (…) Pourquoi le permet-il, alors ? (…) Je me demande quel bien il peut y avoir à être malade… »

Elle se confesse à l’abbé Arnauld. Au cours du repas, elle approuve lorsqu’il lui demande si elle accepte tout ce que le Bon Dieu lui demandera. Plus tard, cependant, elle avoue avoir peur de mourir. Lorsqu’il lui rappelle son acceptation précédente - « Mais tu as dit que tu acceptais tout ce que le Bon Dieu te demandera » - elle s’écrie terrifiée : « Mais Il ne va quand même pas me demander de mourir ? »

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Akéla propose à Anne-Gabrielle de faire sa promesse de louvette en février. Elle se montre à la fois fière et heureuse d’une telle décision. Cependant, soudain inquiète, elle demande à son père : « Papa, pensez-vous que je ferai une bonne louvette ? » La cérémonie a lieu le 12 février 2010. Quand elle salue sa meute, son visage révèle une fierté touchante.

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En quelques jours, Anne-Gabrielle ne peut plus se lever, chaque mouvement lui provoquant des souffrances difficiles à calmer. Un dimanche, il lui est impossible d’accompagner sa famille à la messe. Sa mère va la voir pour s’assurer qu’elle ne manque de rien. Elle la trouve prostrée sur son lit. Quand elle l’entend arriver, elle lui confie : « Maman, vous allez me trouver très étourdie… (…) J’ai demandé au Bon Dieu de me donner toutes les souffrances des enfants de l’hôpital… ». Et comme sa mère lui demande si elle ne trouve pas qu’elle souffre déjà assez : « Oh si, Maman mais je souffre tellement que si eux pouvaient ne pas souffrir… ».

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C’est à ce moment qu’elle prend son autonomie spirituelle en choisissant ceux auxquels elle a décidé de consacrer sa vie : les pécheurs. A sa mère, qui va faire célébrer une neuvaine de messes, elle répond : « Oh, Maman. Pour les âmes du Purgatoire, c’est très bien… Mais je préfèrerais que ce soit pour les pauvres pécheurs » expliquant qu’elle trouve affreux que des âmes continuent à se perdre malgré la Passion de Jésus.

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Dans la nuit du 7 au 8 juillet, Anne-Gabrielle, victime d’une attaque cérébrale, se réveille sous le coup d’une très violente douleur à la tête puis tombe dans une sorte d’étouffement comateux.

Contre toute attente, elle ne meurt pas. Le lendemain, ses parents se battent pour la ramener chez eux à Toulon, pour qu’elle puisse y mourir, sachant à quel point elle déteste être à l’hôpital.

Commence alors une longue fin de vie de près de trois semaines. Les augmentations régulières de morphine ne parviennent pas à calmer durablement la douleur, qui s’estompe à chaque dose puis revient vite, provoquant des spasmes qui arrachent parfois à Anne-Gabrielle un cri rauque terrifiant.

Elle appelle souvent « Jésus », lui parlant comme s'il était présent et, quand elle prononce ce mot d'un ton si douloureux, on sent qu'elle n'attend que de lui toute sa force. Quand elle se croit seule, elle soupire : « Jésus, Jésus, j'ai mal partout. »

Le 22 juillet, il faut aller à la Timone pour un médicament si fort qu’il ne peut être administré qu’à l’hôpital. Arrivée vers 16 heures, Anne-Gabrielle se sent très mal. Exsangue, elle est incapable de marcher. Son père la porte au cinquième étage. Son corps est secoué de spasmes. Elle supplie qu’on l’aide et, quand la crise a été un peu atténuée, elle confie avec une pointe de colère : « Le Bon Dieu en fait trop pour moi ! » Elle apostrophe ses parents, témoins impuissants et silencieux avec une impatience douloureuse : « C’est vrai, non, Il en fait trop pour moi ? » Ils admettent que c’est beaucoup. Elle ne dit alors plus rien, comme s’il lui suffisait que l’on reconnaisse la charge qui l’écrase. C’est le seul moment où elle a exprimé un tel découragement. Très vite, elle se retourne vers son Dieu

et, jusqu’à la fin, elle offre toutes ses souffrances.

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Le protocole de soins palliatifs s’avère inopérant. Les douleurs contraignent Anne-Gabrielle à rester allongée. Les médecins modifient le traitement, allongeant les visites quotidiennes à Marseille. Anne-Gabrielle n’est jamais rentrée avant 13h30.

En avril 2010, Anne-Gabrielle se rend en famille à Lourdes. « Vous savez, Maman, j’ai dit à la Sainte Vierge que, si elle ne voulait pas me guérir, ce n’est pas grave. Mais je lui ai demandé de permettre que je puisse à nouveau marcher normalement. J’aimerais tellement pouvoir courir à nouveau et être comme les autres. »  Le miracle ne survient pas. La nuit, Anne-Gabrielle appelle quasiment toutes les heures pour qu’on lui donne de la morphine. A chaque réveil, elle demande pardon à ses parents de les déranger.

Elle s’affaiblit, souffrant sans se plaindre. Elle continue à vouloir alléger la charge qu’elle représente pour ses parents. Il n’est pas rare, alors qu’elle est épuisée par ses médicaments et peine à tenir debout, qu’elle propose à sa mère de vider le lave-vaisselle et de dresser la table. Malgré la pompe à morphine, la douleur se répand, dans le dos, la cuisse gauche, le tibia droit et la tête, le cancer s’étant généralisé.

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Les très fortes doses de phényl atténuent la douleur, provoquant aussi une dépression respiratoire qui devrait être fatale. Anne-Gabrielle entre en agonie. Le 23 juillet, à 9 heures, elle étouffe, se vidant de tout son souffle. Contre toute attente, elle se reprend et reçoit pour la troisième fois l’extrême onction et le viatique. Elle alterne des phases de conscience et de sommeil. L’après-midi, elle fait comprendre à ses parents qu’elle veut dire au revoir à ses frère et sœurs. Plus tard, elle demande à l’abbé Arnauld : « Je ne vais pas aller au Purgatoire ? » La tournure est interrogative mais le ton assuré. L’abbé Arnauld lui répond qu’elle ira tout de suite au Ciel.

Après trente heures d’agonie, elle rend son âme à Dieu à 23h50, le vendredi 23 juillet 2010. La messe d’obsèques à lieu le 27 juillet dans l’église de sa paroisse Saint-François de Paule à Toulon.

Pour aller plus loin, nous vous conseillons le très beau  livre Là où meurt l'espoir, brille l'Espérance, de Marie-Dauphine Caron, la mère d'Anne-Gabrielle.

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