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Homélie de l'abbé Benoît-Vianney Arnauld

pour les 10 ans du retour à Dieu d'Anne-Gabrielle 

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

 

Il y a juste dix ans, c'était le 23 juillet 2010, Jésus est venu chercher une petite fille, après dix huit mois de maladie, pour la placer auprès de Lui dans Son Royaume. Elle s'appelle Anne-Gabrielle Caron. Elle avait huit ans et demi. Monseigneur Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, ouvrira officiellement le 12 septembre le procès diocésain en vue de sa canonisation.

Pendant l'été 2008, Anne-Gabrielle ressent des douleurs à la jambe droite. Puis ces douleurs deviennent de plus en plus fortes. Elle se met à boiter. Ce n'est que sept mois plus tard, le 27 février 2009, qu'une biopsie osseuse révèle un cancer osseux très virulent (un sarcome d'Ewing). Anne-Gabrielle a sept ans. Voilà que commence pour elle un chemin très douloureux qui l'unira de plus en plus à Dieu et qui la fera participer aux souffrances de Jésus. Elle vivra cette parole de saint Paul : "En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l'Eglise." (Col. 1, 24)

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L'abbé Benoît-Vianney Arnauld

 

Anne-Gabrielle donnait de la joie, une joie divine, une joie qui venait de son intimité avec Jésus. Lorsque qu'un membre de sa famille ou ami la visitait elle était certainement heureuse de le voir, mais ce n'est pas ce que nous pouvions ressentir en la visitant. C'est elle qui rendait heureux son visiteur. Elle était si accueillante, si souriante.  Elle rayonnait Dieu. Cela frappait beaucoup ceux qui venaient la voir surtout lorsque, vers la fin de sa vie, elle était allongée dans le salon presqu'en face de la porte d'entrée de l'appartement.

 

Mystère de joie dans la souffrance. Joie d'être avec Dieu. Joie de vivre de la présence de Dieu, de vivre en Dieu. Sa joie d'offrir avec Jésus était plus forte que sa souffrance, que sa douleur. Cette joie ne semblait pas être à côté de sa souffrance mais comme jaillissant de sa souffrance offerte. Il est difficile d'exprimer cela.

 

Ceux qui ont accompagné des malades, ceux qui ont été auprès de personnes malades à la fin de leur vie, ont certainement été touchés par leur abandon, par leur détachement, par l'ouverture de leur cœur et l'accueil de la grâce en eux. Chez de nombreux malades il y a vraiment des changements de vie, une vie en Dieu avant de paraître devant Dieu. Et nous sommes très frappés par leur charité. Alors qu'ils sont dans l'épreuve ils sont parfois les premiers à nous demander : "Comment allez-vous ?" Ils sont à notre écoute. Ils prennent à cœur de prier aux diverses intentions qu'on leur confie.

 

Il y avait vraiment cela chez Anne-Gabrielle. Mais il y avait quelque chose de plus. Elle s'offrait. Elle se donnait. Elle était sur la Croix avec Jésus. Elle était cette petite fille qui prenait sur elle la souffrance des autres pour les offrir à Jésus. Cela frappe moins chez un adulte qui peut déjà avoir une certaine maturité humaine et spirituelle, mais chez une enfant de 7-8 ans ! Elle était une petite "corédemptrice".

 

Mystère de joie dans la souffrance. Mystère de résurrection dans l'agonie. La souffrance d'Anne-Gabrielle : un vrai chemin de croix, un chemin d'espérance, un chemin lumineux, un chemin vers le Ciel. Elle était avec Jésus portant sa croix.

 

En visitant Anne-Gabrielle, en la regardant ou plutôt en se laissant regarder par elle, nous étions renvoyés à nous-même, à la manière dont nous traversions les épreuves et vivions notre foi. Son regard lumineux ne nous laissait pas indifférents. Il était comme une lumière divine qui venait éclairer notre âme. Anne-Gabrielle nous sortait du repli sur nous-même. Et encore aujourd'hui lorsque nous la prions, lorsque nous regardons l'une ou l'autre de ses photos et que nous prenons le temps de voir ses yeux, d'accueillir son sourire, nous sommes comme traversés par la lumière de Jésus. Nous nous disons alors : "Ma vie doit changer." 

 

Anne-Gabrielle nous montre que la maladie, la douleur, les fatigues, les manques de sommeil, les difficultés dans la vie de chaque jour... peuvent être offerts et même doivent être offerts ; que Jésus les permet et qu'Il nous invite à le suivre sur son chemin de croix, à être avec Lui. Cette enfant exprimait sa souffrance et on la voyait souffrir mais elle ne se plaignait pas. Elle ne subissait pas la douleur. Il y avait en elle une joie, une véritable joie, cette joie qui vient de l'Esprit Saint, joie de pouvoir aider Jésus, joie de pouvoir le consoler, joie de lui offrir son épreuve pour sauver une âme, convertir un pécheur, soulager une âme du Purgatoire, guérir un enfant malade... Voilà ce que nous apprend Anne-Gabrielle.

 

Lorsque nous allions voir Anne-Gabrielle il pouvait y avoir parfois en nous un côté très humain : celui de visiter une enfant très gravement malade mais aussi de savoir ou de penser qu'on lui apporte de la joie avec peut-être un certain orgueil, comme un privilège de pouvoir être là. Mais lorsqu'on se trouvait face à elle il y avait comme une lumière de vérité qui pénétrait notre âme et nous remettait à notre place. Anne-Gabrielle nous enseignait l'humilité, la joie de l'humilité qui libère, qui fait sauter les chaînes de l'apparence. Si on lui apportait une affection trop humaine elle nous renvoyait toujours à la charité de Dieu, à un amour pur, sans recherche de soi.

 

Un prêtre témoigne: "Avec Anne-Gabrielle je ne 'faisais' pas le prêtre mais 'j'étais' prêtre. En sa présence je devenais ce que j'étais. Si je lui donnais Dieu par la Sainte Communion elle me donnait la joie d'être prêtre, la joie d'être à Dieu. C'était pour moi une libération, une guérison, une conversion."

 

Tous ceux qui ont approché Anne-Gabrielle restent très marqués par la manière dont elle embrassait, prenait dans ses bras à la maison et tout spécialement à l'hôpital dans les derniers jours de sa vie. C'était un moment bouleversant, très émouvant. Elle faisait l'effort de se redresser pour embrasser.  Elle serrait fort ses bras autour du cou et déposait son baiser sur la joue, un baiser qu'on ne peut oublier. En embrassant ainsi elle donnait Dieu. Elle donnait l'amour de Jésus. C'était presque sentir Jésus. Comme si c'était Jésus qui nous prenait dans Ses bras. Elle qui aimait tant faire des cadeaux, embrasser était certainement le plus beau des cadeaux que l'on pouvait recevoir d'elle. Et par son baiser si doux, si tendre elle donnait vraiment la présence de Dieu. Elle le rendait présent avec toute Sa bonté, Sa tendresse, Sa miséricorde.

 

Pendant sa longue et douloureuse maladie Anne-Gabrielle nous a appris la valeur du temps. Le temps est précieux. Chaque instant comptait pour elle. C'est ce que tous ont pu constater pendant sa maladie. Pas d'oisiveté. Elle vivait l'instant présent. Elle était pleinement à ce qu'elle faisait. Elle aimait jouer avec ses frère et sœurs. Elle se déguisait. Elle aimait faire la cuisine, préparer des cadeaux. Elle aimait aussi lire… Quelques jours avant sa mort elle s'occupait avec précision et autorité de l'organisation d'activités de louvettes. Elle le faisait par téléphone depuis son lit d'hôpital pour préparer le camp d'été.

 

De même dans sa prière, elle était tout à Dieu. Elle vivait avec ferveur cet instant divin. Sa manière de se recueillir, de communier, de prier un Je vous salue Marie. La voir prier était une preuve de l'existence de Dieu. La voir prier nous faisait rencontrer Dieu. Il y avait une intimité, une profondeur. Ses mains jointes, sa tête baissée, ses yeux fermés. Elle était plongée en Dieu. Il n'y avait que Dieu seul.

 

Un moine a écrit : "Perdre du temps c'est risquer de perdre une âme". Lorsque nous lisons cette phrase on se dit : "ça, c'est Anne-Gabrielle". Elle ne voulait pas perdre son temps. Elle ne voulait pas risquer de perdre une âme. Chaque instant présent offert pouvait sauver une âme, guérir un malade, donner de la joie, du réconfort… Même pendant sa dernière journée elle n'a pas perdu son temps. Elle a été jusqu'au bout de son offrande à Dieu avec volonté, foi et amour : ce sacrement des malades et le viatique reçus le matin du vendredi 23 juillet - l'au-revoir émouvant, bouleversant à ses frère et sœurs dans l’après-midi, à 15h, heure de la Passion et de la Miséricorde Divine… quel beau cadeau avant de quitter ce monde ! ... et même aller seule aux toilettes quelques heures avant sa mort : sortir de son lit - marcher difficilement jusque dans la salle de bain. Cela lui a demandée un grand effort et lui donnait beaucoup de douleurs. Tout cela était offert et vécu en union avec Jésus. Et bien sûr les derniers instants, sa longue agonie, son désir du ciel, cette question qu’elle pose au prêtre. Elle est couchée. Elle parle avec difficulté. Elle n'a plus de souffle : « Est-ce que j’irai au Purgatoire ? » …

 

Rien ne fût perdu. Elle a tout donné.

 

Dans cette dernière journée du 23 juillet, le médecin, avec sa raison médicale, ne comprenait pas pourquoi Anne-Gabrielle était encore de ce monde. Il a alors cette affirmation qui culpabilise les parents : « Vous ne lui avez pas tout dit. Il faut la libérer. » En fait, c’est à l’appel de Dieu qu’Anne-Gabrielle est partie vers le Ciel et non à celui du médecin. Ce qui retenait encore Anne-Gabrielle c’est qu’elle attendait l’appel de Dieu, l'appel du Ciel. Anne-Gabrielle est partie à l’heure de Dieu et non à l’heure de la médecine.

 

Anne-Gabrielle, avec la grâce de l'Esprit Saint, a été jusqu’au bout de son offrande à Dieu. Elle a été jusqu'à cet instant où, dans le silence de la nuit du vendredi 23 juillet 2010, après avoir attendu que s'endorment ses parents, elle a répondu, un peu avant minuit, à la voix de Jésus son Bien-aimé : "Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, viens !" (Ct 2, 10)

 

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Ainsi soit-il.

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