Voici des articles et des entretiens qui concernent Anne-Gabrielle Caron. Tous sont présentés avec l'accord de leur auteur.
Avec son accord, nous reproduisons un article de Morgane Afif publié dans Aleteia le 18 février 2024.
Spiritualité
Comment faire aimer Dieu à son enfant ? L’exemple d’Anne-Gabrielle Caron

Morgane Afif - publié le 15/02/24
Alors que la phase diocésaine de la procédure de béatification d'Anne-Gabrielle Caron est en cours, Aleteia a interrogé Marie-Dauphine Caron, sa mère, pour lui poser cette question qui habite de nombreux parents : "Comment faire aimer Dieu à son enfant ?"
Devant la mer, au large, une petite fille sourit. Elle est belle, avec son cardigan fuchsia et son col Claudine. Son regard est clair, lumineux, et son sourire rayonne pour dévoiler ses jolies dents d’enfant. Sur sa tête, un fichu rayé cache la chevelure qu’elle a perdue. Devant les flots, sur le rivage, le soleil qui l’inonde ne l’éblouit pas, comme cette lumière du Ciel qu’elle contemple dans son coeur et qui l’éclaire et l’anime. La petite fille s’appelle Anne-Gabrielle. Elle a 8 ans et, au moment de cette photo, elle va bientôt mourir.
Placer le bon Dieu au centre de sa vie
Marie-Dauphine Caron décroche le téléphone. Sa voix, douce et assurée, est celle d’une maman qui a élevé cinq enfants. Avec franchise et délicatesse, elle se confie : « Vous savez, je n’étais pas très à l’aise avec l’idée de cette interview quand on m’a dit que vous vouliez intituler l’article ‘Comment faire aimer Dieu à son enfant ? Les conseils des parents d’Anne-Gabrielle Caron’. Je ne voudrais surtout pas qu’on m’attribue un rôle que je n’ai pas eu, et je suis la première à être dépassée par tout ce qu’il s’est passé ». C’est le postulateur de la cause en béatification d’Anne-Gabrielle qui l’a convaincue. « Je ne veux surtout pas qu’on puisse penser que je présume des conclusions du procès. Si je dis que j’ai souhaité avoir des enfants qui seraient des saints, c’est parce que je suis convaincue que nous avons été créés pour Dieu, pour être auprès de Lui. C’est cela, être saint, cela ne relève pas d’un orgueil mal placé ».

Comment ne pas penser à Anne-Gabrielle sans songer à Anne de Guigné, une autre petite fille, morte cent ans plus tôt ? « Bien sûr, Anne de Guigné était un modèle pour Anne-Gabrielle, qui a été très marquée par sa vie », souligne Marie-Dauphine Caron. Quand elle était enceinte d’Anne, Antoinette de Guigné a eu à coeur de vivre l’exemplarité qu’elle souhaitait pour sa fille. « Pour moi, les grossesses n’ont jamais été de grands moments, j’ai toujours été assez malade, explique Marie-Dauphine Caron. Je me souviens en revanche, lorsque je suis tombée enceinte d’Anne-Gabrielle, avoir eu en tête une idée qui m’a suivie tout au long de ma grossesse. La mère d’Anne de Guigné s’est dit qu’elle devait être très proche du bon Dieu ; moi, j’ai eu très peur que le monde n’abîme mon enfant si pure et si innocente. Cette inquiétude, je l’ai ressentie lors des grossesses suivantes, bien sûr, mais de manière atténuée ».
Si je dis que j’ai souhaité avoir des enfants qui seraient des saints, c’est parce que je suis convaincue que nous avons été créés pour Dieu, pour être auprès de Lui. C’est cela, être saint, cela ne relève pas d’un orgueil mal placé.
Dans la famille Caron, « le bon Dieu est une personne. Ni mon mari, ni moi n’avons grandi dans la peur de l’enfer, mais dans la peur de faire de la peine au bon Dieu. C’est ce que nous avons enseigné à Anne-Gabrielle : le Seigneur est quelqu’un qui nous aime, en qui on peut avoir confiance et à qui il faut faire plaisir ». Comment ? « On offre tout, on donne tout. L’offrande, ainsi, a transcendé la maladie d’Anne-Gabrielle car elle lui a donné du sens. Déjà petite, Anne-Gabrielle avait pris l’habitude comme sainte Thérèse de Lisieux d’offrir des sacrifices par amour, pour, disait-elle, ‘enlever des épines de la couronne de Jésus’.”
Toujours dire la vérité à ses enfants
Très jeune, dès trois ans, Anne-Gabrielle se pose des questions existentielles sur l’éternité, le sens de la souffrance ou la mort des petits enfants. « Nous étions démunis face à ces questions qui nous dépassaient, alors même que nous avions nous-mêmes été très catéchisés », estime Marie-Dauphine Caron, qui a suivi sa scolarité chez les Dominicaines du Saint-Esprit, connues pour la formation très solide qu’elles dispensent à leurs étudiantes. « Il est important de catéchiser ses enfants pour les nourrir intellectuellement en plaçant Dieu au coeur de nos conversations ». Pour répondre aux inquiétudes de sa fille, Marie-Dauphine puise dans deux livres : Maman parle-moi du bon Dieu et Maman ne me quitte pas.

Au fil de la conversation, Marie-Dauphine Caron se souvient avec émotion de ces longs échanges avec sa fille et des questions qu’Anne-Gabrielle lui posait. « Il faut toujours dire la vérité aux enfants, même sur le petit Jésus qui apporte les jouets à Noël. Je me souviens d’un livre qui parlait d’un petit enfant à qui l’on avait raconté cette histoire et qui avait demandé à un prêtre si on n’allait pas lui dire aussi, plus tard, que le fait que Jésus soit dans l’hostie n’était pas aussi juste une belle histoire, comme celle des cadeaux à Noël. Quand Anne-Gabrielle nous posait des questions, si elles n’étaient pas de son âge, je lui répondais ‘Tu es trop petite pour le savoir, je te dirais plus tard’, car j’ai toujours refusé de lui dire quelque chose de faux ». C’est au prix de la douleur, parfois, que se révèle la vérité de laquelle naît la confiance absolue qu’Anne-Gabrielle porte à son père et à sa mère. Quand une petite fille de huit ans qui aime la vie demande à ses parents, la voix déchirée par la peur et le chagrin, si elle va mourir, l’angoisse est à son faîte, insupportable, sans la grâce qui permet de l’assumer. « Un moment effroyable, se souvient Marie-Dauphine Caron, mais il fallait le faire. Le soir de ce jour où je lui ai dit qu’elle allait mourir, Anne-Gabrielle m’a expliqué : ‘c’est que j’ai eu très peur. Maintenant j’ai un peu moins peur, parce que je me dis que si je meurs, je serai avec le bon Dieu’. »
Quand Anne-Gabrielle nous posait des questions, si elles n’étaient pas de son âge, je lui répondais « Tu es trop petite pour le savoir, je te dirais plus tard », car j’ai toujours refusé de lui dire quelque chose de faux.
Entretenir l’esprit d’enfance chez l’enfant
Professeur de l’Éducation nationale dans l’enseignement public, Marie-Dauphine Caron connaît bien cette jeunesse désœuvrée qui a perdu l’espérance. « On veut faire croire aux enfants que ce qui est bien est mal et réciproquement. Bien sûr, en tant que parents, nous avons fait des erreurs, avec Anne-Gabrielle comme avec chacun de nos enfants et je crois qu’il faut le reconnaître et demander pardon à ses enfants ». De cet amour naît la confiance. « C’est l’esprit d’enfance : si l’enfant comprend que Dieu est un père, il aura alors absolument confiance en lui. Anne-Gabrielle avait cette simplicité dans sa prière lorsqu’elle disait : ‘mon Dieu, j’accepte tout ce que vous me demandez, mais n’en faites pas trop quand même’. Comme un enfant, elle demandait et elle obéissait toujours ».
« Nous avons toujours voulu faire comprendre aux enfants que le bon Dieu est une personne et que l’amour de Dieu doit se vivre concrètement à la maison. Cela passait, pour nous, par la formation catéchétique et la prière. Je le vivais concrètement avec Anne-Gabrielle puisqu’au début de mon mariage, j’allais à la messe tous les jours », reprend Marie-Dauphine Caron. « J’en avais le temps puisque j’avais pris un congé parental et nous habitions à côté d’une église. J’y allais avec elle, puis je restais au chapelet et j’étais ainsi certaine d’avoir consacré au moins une demi heure de mon temps au bon Dieu ». Passer devant une église, depuis, impose d’aller saluer Jésus, ne serait-ce que par une génuflexion. C’est avec la certitude que Jésus repose dans le tabernacle que grandit Anne-Gabrielle, en qui ne cesse de croître un amour de Dieu très incarné.
Savourer les joies simples de la vie de famille
« Anne-Gabrielle avait un tempérament très fort derrière sa timidité, comme le feu qui couve sous la cendre », sourit Marie-Dauphine Caron. « Elle aimait beaucoup ce que nous faisions en famille, comme jouer aux cartes, faire de la bicyclette, se déguiser, cuisiner, faire des gâteaux, regarder les histoires du Père Castor en DVD, lire, dessiner et faire ce qu’elle appelait ses petits bricolages. Elle a aussi complètement adhéré à l’esprit scout quand elle a rejoint les louvettes, esprit qu’elle partageait avec son père qui est resté lui-même scout dans l’âme ». Dans la famille Caron, la joie s’incarne et se vit chaque jour dans la simplicité de la vie quotidienne. « Je ne peux cependant pas tout à fait dire qu’Anne-Gabrielle était une petite fille comme les autres », estime sa mère au regard des interrogations existentielles qui habitent sa fille depuis toute petite. « Quand on donne les clefs au bon Dieu, on ne peut que bien faire les choses, souligne Marie-Dauphine Caron. C’est alors Lui qui agit en nous : c’est exactement la même chose pour l’éducation des enfants. »
Quand on donne les clefs au bon Dieu, on ne peut que bien faire les choses. C’est alors Lui qui agit en nous : c’est exactement la même chose pour l’éducation des enfants.
À l’annonce de l’effroyable diagnostic, scandale de la souffrance dans le cœur d’un père et d’une mère qui s’apprêtent à ensevelir leur fille, Marie-Dauphine et Alexandre Caron décident "de tout mettre en œuvre pour qu’elle meure saintement". "Bien sûr nous avons demandé un miracle, mais nous nous sommes aussi rendus compte que les enfants ne nous appartiennent pas, qu’ils nous sont confiés et que nous n’en sommes que les dépositaires". Au terme d’un long et précieux échange, Marie-Dauphine Caron conclut, dans la lumière de cette espérance douloureuse d’une maman qui a perdu son enfant : « Les enfants, vous savez, ont parfois une approche mystique de la vie éternelle… Ils ne sont pas très loin du Ciel. »


Liloye Navarre a publié l'article suivant le 2 janvier 2024 sur le site du diocèse de Fréjus-Toulon
https://frejustoulon.fr/lenfance-porte-ouverte-vers-le-ciel/
Marie-Dauphine a perdu sa fille aînée, Anne-Gabrielle, des suites d’une maladie. Pétrie d’une foi et d’un amour immense pour le Seigneur, cette petite fille a fait preuve d’une grande confiance dans cette épreuve et d’un abandon total en son Père du Ciel, qui transparaissait dans sa pureté, son innocence et sa miséricorde pour son prochain. Sa maman nous livre son témoignage.
Épouse d’un officier de Marine et mère de 5 enfants, Marie-Dauphine a vécu durant 14 ans à Toulon où elle exerçait comme professeur de lettres classiques. Mus d’un grand désir de sainteté avec son mari, ils ont toujours eu comme projet de fonder un foyer chrétien. « On voulait que nos enfants aillent au Ciel ; on voulait les élever au sens noble du terme et leur donner le plus précieux », raconte-t-elle.
Alors que sa fille aînée n’est âgée que de 7 ans, les médecins diagnostiquent à cette dernière un grave cancer qui la conduira à traverser d’éprouvantes souffrances dans sa chair. « Anne-Gabrielle a été confrontée à des épreuves d’adultes. Mais il n’y a pas d’âge pour la Croix, tout comme il n’y a pas d’âge pour l’offrande ». Ainsi, aussi jeune eut-elle été, cette petite fille a su remettre sa Croix dans les mains du Seigneur. « Elle avait vraiment une relation personnelle avec Dieu et une très grande force à la fin de sa vie. Alors qu’elle ne se plaignait jamais, quand elle pensait être seule dans sa chambre, on l’entendait souvent dire : « Jésus, Jésus, j’ai mal partout ». La personne qu’elle appelait à l’aide quand elle avait très mal, c’était Jésus ! Je pense que les enfants ont une approche du sacré tellement pure et innocente, qu’il n’y a pas d’entrave à la magnificence et la bonté divines », nous confie Marie-Dauphine.
En plongeant dans le Cœur de Jésus, Anne-Gabrielle a puisé une générosité incommensurable, la poussant à offrir toutes ses souffrances, pour les âmes du Purgatoire et les pauvres pécheurs, puis pour le pape et les prêtres. Cette offrande, elle l’a faite avec tout le naturel et la simplicité d’un enfant, de telle sorte que lorsqu’un clerc lui a demandé : « Comment fais-tu pour offrir tes souffrances ? », elle a répondu : « C’est simple ! Je dis : « mon Dieu, je vous offre mes souffrances » ».
« Laissez les enfants venir à moi » (Mc 10, 14)
Pour Marie-Dauphine, sa fille a également tiré sa force des grâces propres à l’enfance. « Un enfant a confiance : il a confiance en la vie, en ses parents, etc. Quand il est avec eux, il sait que rien ne peut lui arriver, il n’a pas peur et accepte d’être dépendant. À l’hôpital, Anne-Gabrielle nous disait : « J’ai mon papa et ma maman, je suis heureuse. Je n’ai besoin de rien », se souvient-t-elle.
Quelques jours avant son retour vers le Père et pourtant consciente des grands risques qu’elle avait de mourir, cette petite fille assurait avec une confiance déconcertante qu’elle savait « que tout irait bien parce que le Bon Dieu ferait que tout aille bien ». Quand parfois ses parents venaient à s’alarmer, elle tentait de les rassurer : « Mais Maman, pourquoi vous inquiétez-vous ? Il suffit de demander au Bon Dieu ! ».
« Je t’ai appelé par ton nom » (Is 43, 1)
Dans ce rappel à Dieu de cette enfant si jeune, Marie-Dauphine y voit la main du Père. À l’écoute de l’Esprit-Saint, son mari et elle ont su se laisser guider par Lui dès la naissance d’Anne-Gabrielle, les poussant à inscrire cette phrase venue du Ciel sur l’image pieuse de baptême de leur aînée, « ecce ancilla domini » ; « je suis la servante du Seigneur », signant la mission qui lui était confiée de toute éternité. « Je ne me doutais pas qu’elle serait à ce point, et si tôt, la servante du Seigneur. (…) Je suis persuadée que l’on a chacun une mission sur Terre. Quand j’ai mis Anne-Gabrielle au monde, j’étais à mille lieues de me douter que 8 ans plus tard je vivrais un nouvel enfantement », nous partage-t-elle. Par ces inspirations divines, le Seigneur l’a pourtant peut-être aidée à s’y préparer…
Par sa courte et riche vie de foi et de confiance, Anne-Gabrielle a su mettre en lumière, comme sainte Thérèse, cette petite voie de l’enfance pour ses proches. « C’est notre enfant. On a essayé de lui montrer le chemin du Ciel et aujourd’hui c’est elle qui nous conduit. C’est magnifique ! », se réjouit sa Maman.
Comme sainte Thérèse et Anne-Gabrielle, apprenons à embrasser notre petitesse, cultivons notre cœur d’enfant, pur et transparent, pour nous jeter dans les bras de notre Père qui sont « un ascenseur vers le Ciel ». Le Christ, qui s’est fait lui-même petit enfant, ne saurait résister devant ses petits pour lesquels Il a demandé de les laisser venir à Lui.
Un procès de béatification et de canonisation pour la cause d’Anne-Gabrielle a été ouvert en septembre 2020 à Toulon.
Avec l'aimable autorisation de Philippe Maxence, directeur de la rédaction, nous publions un dossier paru dans le numéro 1794 de L'Homme Nouveau (4 nov. 2023) dans lequel Anne-Gabrielle Caron est mentionnée.
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Homme Nouveau N°1794

Homme Nouveau N°1794

Homme Nouveau N°1794

Homme Nouveau N°1794
Nous donnons ici le lien vers un entretien de Marie-Dauphine Caron, la mère d'Anne-Gabrielle, avec Gwenaël Roux, qui anime la chaîne YouTube L'Auberge Pascale (29 octobre 2023)

Interview du postulateur sur Aleteia (23 février 2023) : cliquez ici
Voici une vidéo d'introduction par Monseigneur Rey de la conférence organisée par l'AFC et donnée par Pascal Barthélemy, à la paroisse Saint Lambert de Vaugirard, le 10 février 2023 sur la cause de canonisation d'Anne-Gabrielle Caron.
La revue allemande Feuer und Licht (Feu et Lumière), éditée par la Communauté des Béatitudes, publie une courte biographie d'Anne-Gabrielle Caron, en allemand.
il s'agit de la reprise d'un article paru en septembre 2019 dans la revue Feuer und Licht. Il est écrit à partir du texte que le Père Daniel Ange consacre à Anne-Gabrielle dans son livre Prophètes de la joie (ici).


Entretien de Marie-Dauphine Caron avec la journaliste Ewa M. Małecka
Article publié le 1er mai 2022
Depuis le 12 septembre 2020, votre fille Anne-Gabrielle est officiellement reconnue par l'Église comme Servante de Dieu et son procès de béatification est en cours. Est-ce au cours de sa maladie cancéreuse qu'elle a acquis une telle maturité spirituelle ou sa dévotion particulière à Dieu était-elle évidente dès le début ?
Anne-Gabrielle a toujours été une enfant très sage, très intérieure. Elle réfléchit beaucoup, et atteint l'âge de raison à l'âge de cinq ans. En France, l'âge de raison est généralement de sept ans, mais dans son cas, il était beaucoup plus précoce. Elle était timide, mais elle avait du tempérament. Elle savait exactement ce qu'elle voulait. Mon mari et moi pouvions voir qu'elle était très intelligente, mais comme c'était notre premier enfant, cela nous semblait normal, nous n'avions aucune comparaison. Ce n'est que plus tard, lorsque nous avons eu d'autres enfants qui ont grandi, que nous avons réalisé qu'Anne-Gabrielle était très sensible. Cependant, il ne fait aucun doute qu'elle a beaucoup mûri pendant sa maladie, qu'elle s'est purifiée spirituellement, qu'elle a atteint un haut degré de détachement d'elle-même. Même si elle n'a vécu que huit ans et demi, vers la fin, je devais me dire que je parlais à une petite fille, car j'avais l'impression de communiquer avec un adulte, parfois plus mûre que moi. Vous savez, aujourd'hui, mon plus jeune enfant, Louis-Marie, a huit ans. Parfois, en le regardant, je me dis : "Mon Dieu, comme elle était petite !" Je me souviens d'une fois où nous sommes sortis de l'école avec notre deuxième enfant, François-Xavier, alors âgé de six ans, qui courait partout, se cachait derrière les voitures, etc., tandis qu'Anne-Gabrielle (encore en pré-diagnostic) marchait raisonnablement avec nous. J'ai dit à mes amis : "Mais il est insupportable !" Ils m'ont répondu : "Non, il est normal, c'est elle qui est extraordinaire !" Même avant la maladie, on pouvait voir quelque chose de spécial en elle. Une fois, des amis à nous ont perdu une petite fille d'un mois. Anne-Gabrielle était profondément émue par ce drame. Elle fixait souvent la photo de cette famille et demandait : "Maman, mais pourquoi les petits enfants meurent-ils ? Pourquoi n'a-t-elle pas pu être sauvée ?" Elle n'avait pas encore cinq ans à l'époque, mais elle se posait de nombreuses questions qui ne préoccupent généralement pas les enfants de son âge. D’ailleurs, depuis qu'elle est morte, nous avons eu plusieurs témoignages de personnes qui, auparavant, ne pouvaient pas avoir d'enfants, et qui, après avoir prié par son intercession, attendent un enfant. Je suis encline à penser qu'il s'agit d'une grâce que Dieu suscite par sa prière, car je me souviens qu'Anne-Gabrielle, alors qu'elle était encore toute petite, s'est rendu compte qu'il y avait des couples qui, contre leur gré, restaient sans enfant. Elle a dit : "Maman, je ne sais pas encore si je vais me marier ou devenir religieuse, mais si je me marie, aurai-je des enfants ?" Nous lui avons dit : "Bien sûr, tu auras des enfants si tu te maries". Elle a répondu : "Non, non, il y a des gens qui se marient et qui n'arrivent pas à avoir d'enfants".
Et pourtant, pour une petite fille qui joue à la poupée, le fait qu'elle aura un jour des enfants est généralement évident ! À l'époque, bien avant sa maladie, je ne m'en suis pas rendu compte, mais plus tard, en réfléchissant à sa vie, je me suis rendu compte qu'à cette époque, elle était déjà très sensible à la souffrance des autres. Elle était non seulement compatissante, mais aussi réfléchie. De plus, c'était une enfant normale : elle aimait jouer, s'habiller, plaisanter, et en même temps elle avait une grande profondeur en elle. C'est difficile à comprendre, mais elle était à la fois disciplinée et très vive. Elle est entrée au jardin d'enfants à l'âge de deux ans et demi, car c'est à ce moment-là que j'ai repris le travail. Au jardin d'enfants, elle était une telle meneuse de chahut que les dames me demandaient de venir la chercher avant l'heure de la sieste parce qu'elles n'arrivaient pas à faire dormir le groupe en sa présence ! C'était une enfant très joyeuse, elle savait s'amuser, elle n'était pas une personne triste, mais en même temps elle avait une compréhension très fine de beaucoup de choses, au-delà de son âge. Elle avait une personnalité riche, le bon Dieu seulement sait à quel point. Sans doute, dans sa maladie, sa maturité s'est accrue rapidement. Je parle bien sûr de la maturité spirituelle. Il y a une énorme différence entre Anne-Gabrielle, la petite fille qui a appris qu'elle était gravement malade, et Anne-Gabrielle, qui à l'âge de huit ans et demi a quitté ce monde. À la fin de sa vie, elle a atteint une telle maturité spirituelle que j'avais parfois l'impression de parler à un guide. Je devais me rappeler que je devais rester une mère pour elle. Je me surprenais parfois à lui demander des conseils au lieu de lui en donner.
Avec le début de la maladie d'Anne-Gabrielle en 2008, la vie de toute la famille a dû beaucoup changer. Comment avez-vous réussi à l'accepter ? Et comment parler à une si petite fille, même si elle est très intelligente, de la maladie et de la mort ?
Dès le moment où nous avons reçu le diagnostic, nous avons su que nous allions la perdre. Humainement parlant, il n'y avait aucun espoir de guérison. Bien sûr, nous avons prié, supplié pour un miracle, mais nous savions que nous devions accepter la volonté de Dieu. Vous savez, offrir ses souffrances est quelque chose que l'on m'a appris dès ma plus tendre enfance. Même quand nous étions tout petits, quand une joie ou quelque chose de douloureux se produisait, mes parents nous disaient : "Vous devez l'offrir ! Donnez-le au bon Dieu et cela deviendra précieux". De cette façon, nous étions toujours concentrés sur Dieu. Parce que lorsque nous lui offrons nos joies et nos peines, nous le plaçons au centre de notre vie. Et nous tâchons d’appliquer la même chose dans notre famille.
Je me souviens avoir lu, à l'âge de dix-sept ans, des articles sur la famille de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, avant la canonisation de ses parents. J'avais été très impressionnée par leur vie de famille, très simple et pourtant si pleine de paix et de bonheur ! C'était mon idéal. J'ai toujours su que j'étais appelée à me marier et à avoir une famille, mais je voulais épouser quelqu'un qui soit un vrai catholique. J'ai prié Zélie et Louis Martin pour un tel mari ! Par-dessus tout, nous voulons tous deux que nos enfants atteignent le Paradis. Nous prions ensemble quand nous nous levons, puis encore ensemble avec les enfants. Nous n'avons commencé à prier le chapelet quotidiennement qu'après la mort d'Anne-Gabrielle.
Lorsque j'étais encore jeune fille, à l'école des sœurs dominicaines, j'avais l'occasion d'aller à la messe tous les matins, et j'ai donc conservé cette coutume pendant les premières années de notre mariage. Anne-Gabrielle et moi allions voir le Seigneur Jésus chaque matin. Plus tard, lorsque d'autres enfants sont nés et qu'Anne-Gabrielle fut malade, ce ne fut plus possible, mais nous veillons toujours, lorsque nous passons devant l'église dans la journée, à nous y arrêter un instant. Et si nous n'avons pas le temps de passer, nous disons au moins une prière de salutation au Seigneur présent dans le Saint Sacrement. C'est ainsi que nous avons été élevés et que nous élevons nos enfants, pour ne jamais passer indifféremment devant la Présence Réelle.
Anne-Gabrielle a précisément été connue pour son amour particulier pour le Seigneur caché dans le Saint Sacrement et son désir de le recevoir dans la Sainte Communion.
Sa première communion a été remise en question jusqu'à la dernière minute ! Anne-Gabrielle avait voulu faire sa première communion l'année précédente, mais le curé n'était pas d'accord. Il la trouvait trop petite. Puis, pendant sa maladie, le prêtre est venu la voir chaque semaine pendant une heure pour la préparer. Elle attendait le jour de sa première communion avec une grande impatience et, comme toute mère croyante, je voulais être sûre de sa motivation. Un jour, je lui ai demandé pourquoi elle voulait tant faire sa première communion. Elle m'a répondu : "Maman, j’ai tellement hâte de recevoir Jésus !" J'ai dit : "Mais pourquoi, est-ce à cause de la belle robe blanche et de la couronne ?" Elle a répondu : "Maman, bien sûr que ça me fera plaisir aussi, mais je veux surtout recevoir Jésus !" En mars, elle a commencé un autre traitement de chimiothérapie. La maladie progressait fortement et Anne-Gabrielle réagissait très mal à la chimiothérapie. A deux reprises, elle avait déjà été en aplasie. Il s'agit d'une situation très dangereuse provoquée par la chute de tous les globules blancs et que le patient est privé d'immunité. Si vous avez ensuite de la fièvre, cela peut signifier qu'il s'agit d'une infection, et toute infection peut être mortelle. Vous devez aller à l'hôpital immédiatement. Si les antibiotiques ne sont pas mis en place immédiatement, la personne mourra en quelques heures. Ainsi, à chaque fois qu'elle revenait de chimiothérapie, nous observions avec anxiété si son taux de globules blancs baissait et si elle avait de la fièvre. À deux reprises, nous avons dû l'emmener d'urgence à l'hôpital de Marseille, à une heure de route. Anne-Gabrielle a dû y rester pendant quatre ou cinq jours, le temps que son taux de globules blancs remonte suffisamment. Et voilà qu'une dizaine de jours avant la date prévue de sa première communion, Anne-Gabrielle revient après une chimiothérapie. Cinq jours plus tard, comme pour la chimio précédente, elle est entrée en aplasie. Elle devait rester à la maison, elle ne pouvait voir personne, elle devait porter un masque (ils n'étaient pas couramment portés à l'époque comme ils le sont maintenant). Elle a mesuré sa température toutes les heures pour voir si une fièvre se manifestait. Elle savait que retourner à l'hôpital l'empêcherait de faire sa première communion. Le premier jour de l'aplasie s'est bien passé. Le lendemain soir, nous sommes allés nous coucher, et à une heure du matin, j'ai été réveillée par la voix d'Anne-Gabrielle : "Maman, j'ai 38 degrés, maman, ma première communion ! Ma première communion !" Je suis venue à elle rapidement. Elle était assise sur le lit et pleurait : "Ma première communion !" J'ai pris sa température : elle était déjà à 38,5 degrés. Mon mari est allé chercher la voiture pour l'accompagner à l'hôpital, j'ai préparé ses affaires. J'ai également emballé sa robe de communion - dans cette situation, c'était un acte de foi ! Anne-Gabrielle a pleuré : "Maman, pourquoi la Sainte Vierge a laissé faire ça ? Je lui ai tellement demandé de ne pas tomber dans l'aplasie ! Je voulais tellement faire ma première communion !" Je lui ai dit : "Anne-Gabrielle, tu dois avoir confiance ! Dieu sait tout, sa Sainte Mère aussi". J'ai dit cela, mais à l'intérieur de moi, j’étais très en colère : elle avait déjà tant souffert ! Et pourtant, cela encore ! Je n'ai cependant pas partagé ces pensées ; je ne voulais pas ajouter à sa souffrance. A l'hôpital, des tests ont été immédiatement effectués. Il n'y avait pas d'infection, mais une fois sur place, étant en aplasie, elle ne pouvait pas partir tant que ses globules blancs ne revenaient pas au niveau requis. Pendant ces quelques jours, elle demandait à tous ceux qui lui téléphonaient de prier et de se mortifier pour qu'elle puisse sortir pour sa première communion. Mon mari, qui est resté avec elle à l'hôpital, m'a dit qu'elle se mortifiait aussi et faisait de petits sacrifices à cette intention. Son taux de globules blancs n'augmentait toujours pas. La veille de sa première communion, elle a dit aux infirmières que le dimanche, elle avait une fête très importante à la maison à laquelle elle devait absolument se rendre. Anne-Gabrielle à l'hôpital avait déjà, malheureusement, été confrontée à l'athéisme, elle n'a donc pas révélé qu'il s'agissait de sa première communion. Elle me l'a dit plus tard : "J'avais peur qu'ils ne considèrent pas ça comme une raison assez valable pour me laisser sortir." Mon mari a supplié les médecins de faire les prélèvements sanguins tôt le dimanche matin. Il s'est préparé avec Anne-Gabrielle et, habillés, ils ont attendu les résultats. C'était aussi un acte de foi ! Moi, à Toulon, j'ai préparé une couronne et je suis allée à l'église avec les plus jeunes. La messe a commencé à 10h30. A l'hôpital de Marseille, l'infirmière lui a fait une prise de sang à 7h00. Malheureusement, à 9 heures du matin, elle est venue lui dire que le test n'avait pas donné de résultat et qu'il fallait le refaire. La situation était compliquée ! On a refait une prise de sang. Anne-Gabrielle et son papa ont attendu les résultats. Moi, dans l'église, j'ai regardé les enfants habillés en blanc. La messe a commencé. Une très belle messe solennelle avec un sermon adressé aux petits communiants. Anne-Gabrielle n'était toujours pas là. Mon mari m'a dit plus tard qu'à 11 heures du matin - alors que la messe était déjà en cours ! - on leur a dit que les résultats étaient bons et qu'Anne-Gabrielle pouvait quitter l'hôpital. Ils sont partis immédiatement. Mon mari a dit qu'il n'avait jamais conduit aussi vite sur l'autoroute ! Ils se sont recommandés à la Sainte Vierge tout au long du chemin, ils ont même prié avant la Sainte Communion, afin qu'Anne-Gabrielle puisse la recevoir même au dernier moment. Ils sont arrivés à Toulon, où il n'y a généralement pas de trafic le dimanche. Cette fois, il y avait un terrible embouteillage ! Mon mari avait déjà commencé à préparer doucement sa fille au fait qu'elle ne pourrait peut-être pas faire sa première communion ce jour-là. J'étais à la messe à ce moment-là, je ne savais pas tout cela, je savais seulement qu'Anne-Gabrielle n’était toujours pas arrivée. Le moment de la consécration est arrivé - elle n'était toujours pas là. La Sainte Communion a commencé - sans elle. J'ai entendu : "Ite, Missa est !" - La messe est terminée, la procession commence à se former, la schola commence à chanter pour la sortie. Et puis j'ai vu entrer Anne-Gabrielle, dans sa robe blanche, avec son foulard blanc sur la tête (car elle avait perdu ses cheveux). Elle m'a cherché du regard. Elle a souri quand elle m'a vue, elle est venue vers moi. J'ai vu des traces de larmes sur son visage. Je lui ai chuchoté : "Anne-Gabrielle, la messe est déjà terminée". Elle m'a répondu : "Je sais, maman". Il y avait une telle paix dans ce "je sais", une telle acceptation, tant de douceur... Pour moi, c'était trop !
Le prêtre qui a préparé les enfants à la première communion m'avait dit auparavant qu'Anne-Gabrielle pouvait se joindre à eux, même si elle arrivait à la dernière minute. Je suis donc allée voir un séminariste de la chorale et je lui ai dit qu'Anne-Gabrielle venait d'arriver. Il a répondu qu'il en informerait le prêtre. Je ne sais pas à quoi je m'attendais. Peut-être qu'une fois la procession passée, le prêtre reviendrait à l'autel et, en privé, lui donnerait la communion. Mais alors, ce jour-là, qu'elle avait tant attendu !
La schola avait déjà commencé à chanter le "Salve Regina" après la messe et elle s'est soudainement arrêtée pour reprendre le chant de la communion. Je m'en souviens encore ! J’ai alors compris qu'Anne-Gabrielle allait faire sa première communion - maintenant ! Le curé a remonté l'allée pour venir chercher Anne-Gabrielle, l'a conduite à l'autel et m'a fait signe de les suivre, mais je ne l'ai pas vu, alors je suis retourné à mon banc. De là, j'ai vu Anne-Gabrielle s'approcher de l'autel, timidement mais en même temps avec une grande détermination. J'ai regardé cela avec un cœur de mère, encore plein de rébellion, car il me semblait que cette adversité, ce retard, c'était trop pour une petite fille dont le désir de communion était si surnaturel ! La cérémonie de sortie en procession a été interrompue. Anne-Gabrielle s'agenouille sur les marches de l'autel et le prêtre lui ouvre le tabernacle. Alors qu'il se penchait vers elle pour réciter le "Confiteor" avant de recevoir le Seigneur, j'avais l'impression que Jésus lui-même se penchait sur elle ! Et au moment de sa communion, le silence s'est fait. Avant cela, il y avait du bruit, comme c'est généralement le cas lorsqu'il y a beaucoup de familles avec des enfants à la messe. Anne-Gabrielle, après avoir reçu le Seigneur, s'est plongée dans ce silence, dans la contemplation. Finalement, le prêtre a dû lui dire qu'il était temps de descendre, de retourner à sa place. Pendant le reste de la journée, elle était comme absente. Malgré toutes les incertitudes, même si nous n’avions pas invité de famille, nous avions préparé un repas de fête. Je m'occupais de tout, et chaque fois qu'elle me voyait, elle me disait avec une grande douceur : "Maman, maintenant ce sera comme ça tous les dimanches !" Et puis chaque semaine, en allant se coucher le samedi, elle disait : "Demain, je communierai !" Elle nous a également demandé d'aller plus souvent à la messe, mais avec des enfants plus jeunes (la plus jeune à l'époque, Alix, avait trois mois) et les fréquentes hospitalisations, nous ne pouvions pas nous organiser de cette façon. Plus tard, des années après, j'ai rencontré une personne qui avait assisté à cette messe ; je ne la connaissais pas bien à l'époque. Elle m'a dit : "Vous étiez au fond de l'église à l'époque, donc vous ne pouviez pas voir votre fille, mais quand elle s'est approchée de l'autel, nous avons tous été frappés par son regard ! On a vraiment l'impression qu'elle marchait vers le Ciel !"
Anne-Gabrielle ne parlait pas beaucoup de son amour pour le Seigneur présent dans l'Eucharistie, mais le vivait simplement.
Elle a eu de nombreuses occasions de s'unir au Seigneur, qu'elle a accueilli, même en faisant l'expérience de la souffrance...
Elle a vraiment vécu en sa présence. Dans les dernières semaines précédant sa mort, la morphine ne faisait plus d’effet, un antidouleur six à sept fois plus puissant que la morphine n'était administré qu'à l'hôpital, et Anne-Gabrielle était déjà sortie de l'hôpital pour pouvoir mourir chez elle. Les médecins s'attendaient à ce qu'elle meure à tout moment. La seule chose qui la soulageait était les massages. Mon mari et moi nous sommes donc relayés pour veiller à ses côtés et la masser pratiquement toute la nuit. Une fois, mon mari est sorti un moment pour boire de l'eau et est revenu sans faire de bruit, de sorte qu’Anne-Gabrielle ne l'a pas entendu. Lui, en revanche, l’a entendue chuchoter : "Jésus, Jésus, j’ai mal partout !" Elle ne s'est jamais plainte à nous pour ne pas ajouter à notre souffrance, mais au moment où elle pensait qu'aucun de nous n'était présent, elle s'est plainte à Jésus ! Quelqu'un a dit un jour que les enfants malades sont saints non pas parce qu'ils souffrent, mais parce que, dans la souffrance, ils pensent aux autres. Et il en était de même pour elle. En février 2010, alors que mon mari, qui sert dans la Marine, était en mer, son état s'est tellement détérioré qu'elle ne pouvait plus marcher. Le dimanche suivant, Anne-Gabrielle n'a pas pu se lever. Je suis allée à la messe avec les autres enfants, la laissant avec sa grand-mère. Quand je suis revenue, elle m'a dit qu'elle avait demandé au bon Dieu de lui donner toutes les souffrances des enfants de l'hôpital. Et je venais de prier pendant toute la messe pour que le Seigneur soulage ses souffrances ! J'étais choquée, d’autant que, comme elle connaissait bien la douleur, elle savait ce qu'elle demandait. Je lui ai demandé : "Mais ma chérie, ne penses-tu pas que tu souffres déjà assez ?" "Oh si, maman, mais je souffre déjà tellement que si eux pouvaient ne pas souffrir..."
Elle s'efforçait de nous épargner la vue de sa douleur, lorsqu'elle marchait encore je la trouvais parfois cachée quelque part dans un coin lorsqu'elle titubait de douleur, pour que personne ne la voie. Elle nous disait qu'elle remerciait le bon Dieu d'avoir des parents aussi merveilleux, mais qu'elle était très malheureuse que nous souffrions à cause d'elle. Lorsqu'elle ne pouvait plus marcher et qu'elle me voyait m'occuper d'elle et de ses jeunes frère et sœurs, elle me disait : "Maman, ce qui me ferait vraiment plaisir, c’est que vous vous reposiez".
Cette grâce que le bon Dieu nous a accordée en nous confiant une telle enfant, cela me dépasse complètement. Anne-Gabrielle, surtout vers la fin de sa vie, était si intensément habitée par la Présence de Dieu ! Par la façon dont elle a vécu sa maladie sa maladie, elle est devenue un signe vivant que le seul vrai bien est Dieu ; que la seule chose qui vaille la peine qu’on combatte pour elle est d'être avec Lui au ciel.


On peut voir l'œuvre de Dieu dans sa vie, mais on peut aussi voir qu'elle a appris à connaître Dieu très tôt. Puis-je vous demander comment vous l'avez élevée, quelles règles vous avez à la maison ?
Mon mari et moi avons tous deux eu la grâce de grandir dans des familles catholiques et pratiquantes. Je suis allée à l'école avec les sœurs dominicaines, comme ma mère avant moi. Pour nous, la foi est quelque chose que nous vivons tous les jours. Nous avons reçu une solide formation doctrinale, ce qui est très important, surtout dans les périodes difficiles, lorsque vous avez l'impression que Dieu vous a oublié. Dans ces moments, le simple fait d’avoir appris intellectuellement les vérités de la foi et les étapes de la vie spirituelle est d'une grande aide.
Mais surtout, dans nos deux familles, nous avons vécu l'amour de Dieu concrètement, au quotidien. Et vous savez, après la mort d'Anne-Gabrielle, beaucoup de gens m'ont reproché qu'il était impitoyable de dire à une enfant mourante d'offrir ses souffrances. À la fin de sa vie, par exemple, une sonde a dû être insérée, ce qu'Anne-Gabrielle, qui était très pudique, a eu du mal à supporter. Elle a insisté pour qu’on ne la lui pose pas et, comme je l'ai dit, c'était un caractère fort. Je lui ai alors dit la seule chose dont je savais qu’elle la ferait céder : "Anne-Gabrielle, c'est un sacrifice. Il faut l’offrir." Elle a accepté immédiatement. Elle a dit : "Bon. Mais vous demandez au bon Dieu de m'aider". Et pendant que les médecins lui posaient cette sonde, elle avait les yeux fixés sur moi et me murmurait : "Vous priez, maman, vous priez !" Je sais que beaucoup de gens ne comprennent pas ça mais, puisque ma petite fille devait mourir, je voulais qu'elle meure le plus saintement possible ! Qu'elle passe de nos bras à ceux de notre Sainte Mère et du bon Dieu ! Ce qu'elle traversait, et ce qui nous attendait encore, était très difficile, mais nous savions que la souffrance sur cette terre était une occasion de conquérir le ciel.